Un coup de printemps

Frais comme un Gardon

Ça m’a pris d’un coup d’un seul. A peu près comme chaque année à la même époque. Une manière de rituel. Mon passage de l’heure d’hiver à l’heure d’été. On s’en moque pas mal du printemps, non ? C’était il y a deux semaines environ. Avant le dernier grand coup de vent de nord, et la subite dégringolade des températures. Ça, c’est sûr ; ça, c’est certain. Pas folle la guêpe. On s’y croyait presque pourtant. Un mois d’avril.

Par Vincent Chrétien - Photos BB

Je me dirigeais d’un pas lent et léger en amont de la rivière… En contrebas du barrage, des aigrettes et un héron cendré semblaient jouer dans le courant… A moins que… L’eau chutant en cascade du seuil et générant un brouillard de micro-gouttelettes rafraîchissant l’atmosphère sans pour autant mouiller leurs plumes… Oui, un brumisateur géant aux seuls oiseaux destiné… Très souvent, depuis deux siècles et avec plus ou moins de bonheur, l’homme n’a fait qu’imiter la nature…

Les premières fleurs, mauves, blanches, bleues et jaunes. Les étiqueter par leurs noms ? Les sages taoïstes ne prétendaient-ils pas que nommer les choses limitait le réel, étroitisait la conscience et constituait un frein à la contemplation ? Et puis, pour être tout à fait honnête, j’en serais bien incapable. C’est ainsi, nous vivons désormais dans une société où nous sommes, pour la plupart d’entre nous, à même de citer à la chaîne et sans réfléchir une bonne centaine de marques, mais bien incapable « de dire pour de vrai » le nom d’une fleur ou d’un arbre. Un aveu d’impuissance, donc, doublé d’une invite à la contemplation. Ne pas s’appesantir, se reconcentrer sur ses sensations, marcher d’un pas lent et léger sous le feu du soleil retrouvé…

Et puis cette plage de peu de sable. 

Ça m’a pris d’un coup d’un seul. A peu près comme chaque année à la même époque. Une manière de rituel. Mon passage de l’heure d’hiver à l’heure d’été. On s’en moque pas mal du printemps, non ? Deux saisons. Avec les beaux jours retrouvés, le grand choc de simplification ! « Simplifiez ! Simplifiez ! Simplifiez ! », nous encourageait déjà Henry David Thoreau.

Me retrouvant de manière imprévisible presque nu, je m’avance – comme téléguidé et dépouillé de mon bon sens par une force supérieure – très prudemment dans l’eau. Un pied, puis l’autre, jusqu’aux genoux. Une première étape les genoux. Vraiment fraîche. Y aller mollo. Tout doucettement. Je me tiens là, immobile ou presque ; un flamand rose sous anxiolytique… Y aller mollo, ça fait parti du jeu… Une légère brise marine de milieu d’après midi précipite d’ouest en est de courtes et sournoises rafales de vent dans les Gorges… De l’eau jusqu’au nombril maintenant ; c’est comme tout dans la vie, il y a des limites, des étapes, après lesquelles on ne peut plus reculer… Une profonde inspiration, et… et de l’eau par dessus la tête !… Mon baptême ! Ma Pâques ! J’ai dix ans ! C’est même pas vrai, mais j’ai dix ans ! laissez moi croire que j’ai dix ans !… Le souffle court, j’effectue à la va-vite quelques brasses de manière grossière et désordonnée ; je réapprends à nager !…

 

Une légère brise marine de milieu d’après midi précipite d’ouest en est de courtes et sournoises rafales de vent dans les Gorges… De l’eau jusqu’au nombril maintenant ; c’est comme tout dans la vie, il y a des limites, des étapes, après lesquelles on ne peut plus reculer…

À une centaine de mètres en aval se tient un  groupe d’une quinzaine de personnes

Je les sais qui observent le flamand rose depuis dix bonnes minutes. Ira, ira pas ? Un rien d’orgueil, néanmoins je peux vous dire qu’il est plus du tout neurasthénique, le flamand rose ; il est même foutument pêchu et revigoré à ce moment précis, le flamand rose ; mais il tente de reste digne. Comment dire ? Elégant. Si tant est qu’on puisse rester élégant en sortant de l’eau en marchant sur des galets rendus glissant par… 

La relative abondance d’algues dans le lit de la rivière à cette période de l’année m’étonne tout de même un peu. C’est vrai qu’il a assez peu plu cet hiver. Que nous sommes déjà en déficit hydrique, comme disent les spécialistes ; mais tout de même… Un signe manifeste de présence de nitrates et de phosphates dans la rivière, parait-il…

Ne pas y penser, pas maintenant, pas au moment de me défaire de ma peau d’hiver. Pas au moment de renaître au monde. Pas au moment de renouer avec une certaine simplicité et « le Grand Dehors. » Pas au moment de réapprendre, le temps d’un premier bain, à outrepasser le schéma étroit de la raison…