Du bonheur plein les armoires

Réservoir Fringues

À l'heure du trop-plein stylistique, de l'arrivée quasi quotidienne de nouveautés réputées indispensables, ce trio a décidé d'en prendre le contre-pied et de vendre du vieux, du vintage, du recyclé, du « has been ». Le métier de la friperie, encore hier mésestimé, est en passe de devenir le nouvel eldorado économique.

Par Béatrice Baulard - Photos Vincent Chrétien, BB

Il était une fois trois femmes supers qui avaient décidé d’être indépendantes. Mais elles avaient été cantonnées dans des travaux bien peu passionnants. Vingt fois, elles remirent leur ouvrage sur le métier pour trouver le bon. Dans cette histoire, point de Charlie pour les épauler. Mais ce sont vraiment de drôles de dames…

Consommer autrement était déjà la règle pour ces trois là. Depuis longtemps, elles privilégiaient les circuits courts, délaissaient les sirènes du marketing pour être au plus proche de leurs valeurs.

L’initiative est partie d’Isabelle Lopez avec son envie d’ouvrir une mercerie de seconde vie. A sa grande surprise, le mot mercerie est inconnu de la plupart de ses interlocuteurs. Pour sauvegarder des témoins de nos passés textiles, petit à petit, elle a constitué une incroyable collection de fils, de boutons, de tissus. 

De fil en aiguille, elle rencontra Axele Rosario qui écumait les fripes depuis son adolescence et qui projetait d’en ouvrir une. Céline Stoll, très concernée par l’écologie, lasse de son travail de traductrice, les rejoignit très rapidement. Elles testèrent l’été 2020 une formule de vide dressing itinérant, installé dans les jardins de qui a bien voulu les accueillir.

La toile à l’échelle mondiale

D’après un rapport de GlobalData pour ThredUp de 2019, le marché des vêtements d’occasion va doubler de taille dans les cinq prochaines années. Sa croissance a été 21 fois plus rapide que celle du marché de la vente au détail sur les trois dernières années.  À ce rythme, le marché de la seconde-main devrait dépasser la fast fashion d’ici 2028 (64 Md$ pour 44 Md$), un véritable tour de force auquel s’intéressent entre autres de nombreuses grandes marques.
Source bpi france.

Le "chiffon" ou l'art du remploi

Les fripes (de l’ancien français frepe, « chiffon », issu du bas latin faluppa, « fibre, petite chose sans valeur »). Au XIXe siècle, le commerce de fripier se différencie du brocanteur. Le vêtement est alors constamment reprisé, reteint ou retaillé. Il est ainsi question de ravauder, rapiécer, de changer les pièces de tissus usées. Hier, synonyme de pauvreté, aujourd’hui,  le « visible mending » fait de plus en plus d’adeptes.

Elles ont aussi trouvé un nom « Réservoir Fringues », fignolé  26 m² dans le Vaisseau 3008, ce nouveau tiers lieu nîmois regroupant entreprises et initiatives locales en plein cœur de la Placette. Les confinements successifs leurs ont donné du fil à retordre puisque les vêtements sont considérés comme un commerce non essentiel. Qu’importe, pas de temps mort, pendant les fermetures, elles peaufinent leur sélection.

Ce qu’elles préfèrent, c’est découvrir que certaines pièces qu’elles pensaient invendables, partent illico (dommage elles n’ont pas pensé à prendre de photos), que les lycéennes du quartier sont des clientes avisées et chinent des pièces bon marché pour renouveler leur look. Pour l’instant, elles fonctionnent entièrement avec des dons et ont créé un stock impressionnant. Elles trament de coudre des vêtements à partir de vieux jeans trop abîmés pour être vendus tels quels, de proposer de la retouche, des ateliers créatifs autour du fil, de retrouver des jardins pour l’édition 2021, d’ouvrir un local sur l’Uzège… 

Bref, du cœur à l’ouvrage… de dames. 

         Vous pouvez suivre toutes leurs aventures sur leur page Facebook, les contacter si vous avez des vêtements à donner et aller les voir au Vaisseau 3008, 7 rue de l’Hôtel-Dieu, 30000 Nîmes au deuxième étage. 

L'impact climatique de la mode en chiffres

Inutile de tenter de voir la vie en rose sur le sujet. 

  • La mode est devenue la 2e industrie la plus polluante du monde après le pétrole.
  • 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année ; plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis.
  • Un seul jean utilise  11 000 litres d’eau, l’équivalent de 285 douches, et un tee-shirt 2 700 litres d’eau, l’équivalent de 70 douches. Faîtes le calcul,  jean/tee-shirt neuf équivaut à quasi toutes vos douches sur un an.
  • 48 millions de tonnes de vêtements sont jetés chaque année dans le monde.
  • Nous achetons aussi en moyenne 60 % de vêtements de plus qu’il y a 15 ans.
  • Seulement, 38% des textiles usagés sont collectés.

De quoi vraiment revoir notre copie sur notre façon de se saper, maintenant que votre moral l’est carrément. L’arrivée sur le marché circulaire de grosses plateformes ne verdit pas plus le tableau : transports intensifs de petits cartons, stockage de données et de photos plétoriques avec en plus la fausse bonne conscience de vider/remplir ses placards de façon compulsive (merci Marie Kondo).  

Photo : Derick Melander crée des sculptures de vêtements qui explorent l’intersection entre le consumérisme mondial et la relation intime que nous entretenons avec ce que nous portons.